mardi 28 septembre 2010

Monet, en route vers l'abstraction

Déjà paru sur Slate.fr

« Je ne crois pas que la question soit de peindre une peinture abstraite ou figurative », écrivait Mark Rotkho en 1947. Alors que la Seconde Guerre mondiale vient de s'achever et que ce que l'on appellera (à tort ou à raison, peu importe), l'école de New York succède à l'école de Paris, cette phrase dit tout de la démarche de Claude Monet et de l'exposition que propose actuellement le Musée Marmottan (1).

Longtemps après le Guggenheim Museum de New York (1996), la Royal Academy of Arts de Londres (1998) et Museum of Fines Arts de Boston (1999), après « Claude Monet... jusqu'à l'impressionnisme numérique », la très belle exposition de la Fondation Bayeler, à Bâle, ou la mise en place minimaliste de la Tate Modern à Londres, qui avec quatre tableaux seulement (Jackson Pollock, Summertime: Number 9A, 1948; Mark Rothko Untitled 190 x 101, circa 1950-2; Joan Mitchell 1925-1992, Number 12, 1951-1952, Claude Monet, Nénuphares after 1916), « Monet et l'abstraction » met en évidence le rôle de précurseur de l'auteur des Nymphéas.

Comme le laisse entendre Mark Rothko, la question n'est pas de savoir si Vétheuil dans le brouillard (1879), La Seine Effet du soir (1894), Waterloo Bridge (1900) ou surtout Charing Cross Bridge (1899) relèvent de l’abstraction ou de la figuration. Ils se trouvent entre le deux, sur le chemin qui va de l'un à l'autre. Lorsque Claude Monet peint le pont de Charing Cross complètement enveloppé dans le brouillard, il ne souhaite pas donner une image de ce pont qui enjambe la Tamise. A dire vrai, l'ouvrage d'art disparaît presque totalement dans l'oeuvre d'art.

La remarque vaut également pour les derniers tableaux de Claude Monet, ceux peints après 1923 et son opération de la cataracte. À cette époque, on ne sait plus avec exactitude si Monet voit ce que nous voyons, ou si nous voyons ce que Monet a voulu montrer. Les bleus lui échappent, les jaunes semblent trop présents et il perçoit mal les rouges qui lui paraissent « boueux » (2). La maison de Giverny, le pont japonais situé dans le bas du jardin ou l'allée de roses disparaissent littéralement dans le tableau qui renvoit à l'expressionnisme abstrait de Joan Michell, Sam Francis Willem de Kooning ou Gerhard Richter. Le Pont japonais (86 cm x 116 cm, vers 1918) du Musée Marmottan n'est plus figuratif et pas encore abstrait, il se situe à la charnière. Monet préfigure la force des New-yorkais. On pourrait dire que les oeuvres des seconds sont comme des agrandissements démesurés du premier. Il y a la même violence gestuelle, la même hâte à montrer autre chose qu'une feuille de saule pleureur.

Ce qui compte n'est plus la représentation mais le sentiment, l'impression, l'effet produit par les tableaux sur le spectateur. Dans les dernières années du XIXe siècle, nombre des tableaux de Claude Monet parlent explicitement de « l'effet », produit ou voulu. La Seine à Port-Villez. Effet du soir (1894), ou La Seine à Port-Villez. Effet rosé, ou encore Le Voilier. Effet du soir (1885). Monet ne montre pas, il produit un effet sur celui qui regarde. Vassily Kandinsky celui à qui l'on attribue, au côté de Piet Mondrian, la première oeuvre abstraite, dit avoir vu les Meules de Monet sans avoir vu les meules. Mais il se souviendra longtemps du « trouble » que lui laissa la série. Vladimir Malévitch qui avec son Carré noir sur fond blanc allait précéder de deux ans révolution de 1917, dit la même chose, comme le raconte Paloma Alarco, commissaire de l'exposition du Musée Marmottan. Fasciné par les Cathédrales de Rouen, Malévitch souligne:

L'objectif [de Monet] n'était pas les ombres et le lumières mais la peinture étalée dans l'ombre et la lumière.

La présence de Rothko, avec un tableau rouge de petite dimension, peut paraître surprenante dans la kyrielle des enfants légitimes de Monet, mais quête est la même: l'effet produit. Il suggérait de se tenir proche, tout proche, de ses oeuvres qui, de grandes dimensions pour la plupart, doivent provoquer un enveloppement, un vertige.

Je sais seulement que je fais ce que je peux pour rendre ce que j'éprouve devant la nature et que le plus souvent, pour arriver à rendre ce que je ressens, j'en oublie totalement les règles les plus élémentaires de la peinture, s'il en existe toutefois.

La phrase de Monet, placée en exergue du catalogue de l'exposition « Monet et l'abstraction », dit assez la révolution qui s'ouvre. La perfection atteinte tout au long des siècles par les Delacroix, Corot, Courbet, ou Le Lorrain, dans le désordre et pour rester en France, oblige à bouleverser les règles pour dire autre chose.

Le Musée Marmottant, où se trouve en permanence Impression Soleil Levant (1872), reprend une perspective mise en évidence ailleurs et il y a un moment déjà, mais cette exposition à l'avantage d'être ici, à Paris, et maintenant. Une autre fois, le musée pourra refaire le travail qui n'a pas encore été fait à notre connaissance, tracer la ligne qui mène de Turner à Pollock en passant par Monet.

Philippe Douroux

Photo: Charing Cross Bridge, Claude Monet, via Wikimedia

(1) Jusqu'au 26 septembre 2010
Heures d'ouverture tous les jours de 11h à 18h.
Nocturne le mardi jusqu'à 21h.
Fermeture des caisses à 17h30 le mardi fermeture des caisse à 20h 30.
Plein tarif : 9 €. Tarif réduit : 5 € (étudiants moins de 25 ans, amis du Louvre, ...).
Gratuit : moins de 8 ans
Adresse: 2, rue Louis-Boilly 75016 Paris France
Métro 9 La Muette, Rer C Boulainvilliers,
Bus 22 , Bus 32 , Bus 52 , Bus 63 , Bus PC
Tél. : +33 1 44 96 50 33
http://www.marmottan.com/
Mail: marmottan@marmottan.com
Le dossier de presse est disponible en pdf

(2) Dans l'Oeil de Monet. Interview du docteur Philippe Lanthony (ophtalmologiste)

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