mardi 28 septembre 2010

Le noir de Soulages est celui du smoking, son noir manque de noirceur?

Paru sur Slate.fr

Il n'a pas que les chiffres dans la vie, il y a aussi les dates. Dans l'exposition Soulages à Beaubourg (jusqu'au 8 mars 2010) une double date prête à sourire. Celle de sa réalisation et celle de son achat par l'État.

Au milieu de l'exposition, dans la troisième salle, juste avant la salle noire, se trouve la peinture : 220 x 366, 14 mai 1968. Pierre Soulages l'a réalisée, ou en tout il l'a datée avec précision comme souvent. La veille, le 13, se déroule l'une des plus grande manifestation de ce que l'on appellera les Évènements de 68. La grève générale se propage et la jonction semble se faire entre ouvriers et étudiants.

Pierre Soulages vit à Paris, mais son œuvre ne semble pas atteinte par ce se qui se déroule dans la rue. Le tableau réalisé dans la tourmente paraît ne pas être touché par l'onde de choc sociale. Aucune rupture n'est visible. Le noir gagne du terrain, mais le blanc est encore là, et dans sa construction le tableau est très proche d'un autre daté du 9 mai (202 x 256) ou d'un troisième à venir et daté de novembre 1968 (220 x 365).

Il n'y a, au sens propre, pas d'engagement de l'artiste dans le monde qui s'ébranle autour de lui. Le tout noir ne viendra que bien plus tard. Le tout noir Pierre Soulages assure ne l'avoir atteint, touché, comme on touche un but, qu'en 1979. Nous le trouvons à la fin de l'année 1978, avec « peinture 114 x 162 cm, 17 octobre 1978 ». Dix ans, onze après les quasi noirs de 1968, peut importe. Mais peut-être faut-il se retourner pour voir si les œuvres des années 50 annoncent le chaos festif de 68 ? Peut-être.

Il reste cette imperméabilité à la révolte soixante-huitarde. De là s'installe un doute sur la radicalité de Soulages. L'artiste est à l'époque déjà installé, réclamé et consacré. Un an plus tôt, en 1967, le Musée national d'art moderne, l'ancêtre du Centre Georges Pompidou, vient de la première exposition Soulages dans un musée français, dixit l'album de l'exposition. Il est dans les honneurs et plus dans la révolte exprimée par les brous de noix jetés sur le papier ou sur le verre qui rapprochent Pierre Soulages de l'expressionnisme abstrait. Il semble alors partager la violence de ce courant, portée par Jackson Pollock, Joan Mitchell ou la douleur d'un Rothko.
Paradoxalement, il semble que le noir de Soulages n'a, en 1968, plus de noirceur.

Il est somme toute amusant que ce tableau soit, physiquement, au cœur de la rétrospective puisqu'il sera acheté en 1969 par l'État. Avant ou après le départ du général de Gaulle et l'avènement de Georges Pompidou à la tête de l'État ? Nous n'avons pas la réponse. Une chose paraît certaine. De Gaulle ne devait pas apprécier cette modernité que Pompidou allait installer.

Il faudrait revoir en même temps carré noir sur fond blanc de Malevitch. Le tableau est dans un sale état qui lui donne une émouvante fragilité. Il y a dans ce carré la révolution qui arrive. Il est daté de 1915, les « rouges » balaieront la russie ancestrale en 1917. L'artiste annonce l'avenir du monde. Par parenthèse, les noirs, les anarchistes seront écrasés et Malevitch bannie.

En 1966, les Rolling Stones chantaient Paint it, black.

I look inside my self and see my heart is back,
I see my red door and I want it painted black.
Maybe then I'll fade away and not have to face the facts,
it's not easy facing up when your whole world is black.

A. B. & PhDx

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